• Pas facile d'être noir ou métis à Cuba




    À Cuba, les difficultés économiques ravivent les vieux démons du
    racisme. Les Noirs et les métis, majoritaires dans l'île, constatent
    amèrement que les inégalités sociales recoupent les clivages raciaux.



    Dans une ruelle située près du Malecón, la fameuse avenue qui longe le
    front de mer à La Havane, un policier interpelle un jeune Afro-Cubain
    et exige de voir ses papiers d'identité. Sa faute ? Il se balade avec
    deux Européennes de passage dans l'île. «Ce n'est qu'après un long
    interrogatoire où nous avons dû lui prouver que nous étions simplement
    en train de nous promener entre amis qu'il l'a laissé en paix», raconte
    une des jeunes touristes.



    Cette scène, devenue quotidienne dans la capitale, n'étonne plus les
    Cubains depuis belle lurette. Tous savent que les Noirs -- hommes ou
    femmes -- sont systématiquement suspects aux yeux des policiers,
    surtout s'ils accompagnent des étrangers. «Lorsqu'une Cubaine parle
    avec un étranger dans les lieux touristiques, la police la soupçonne
    tout de suite de prostitution, à plus forte raison s'il s'agit d'une
    Noire», explique Katerin Hasing, une Sud-Africaine spécialiste des
    questions raciales, qui croyait, avant d'y vivre, que «le racisme
    n'existait plus à Cuba».



    Le pays s'est en effet longtemps targué d'être plus égalitaire que
    l'ensemble des sociétés latino-américaines. Les pauvres -- dont
    beaucoup des quelque sept millions de Noirs et de métis qui constituent
    près des deux tiers de la population -- avaient accès à l'éducation et
    aux services de santé, dont profitaient avant la révolution surtout les
    classes moyennes, composées majoritairement de Blancs d'ascendance
    européenne. Mais la fin abrupte de l'aide soviétique a cassé net le
    rêve égalitariste. Aujourd'hui, force est de constater que les
    inégalités sociales recoupent en bonne partie les clivages raciaux.







    Les dollars pour les Blancs









    Une simple balade dans les lieux touristiques, l'un des rares secteurs
    de l'économie où les Cubains peuvent espérer gagner un salaire décent
    depuis que l'État les autorise à posséder des dollars, suffit pour s'en
    convaincre. Dans les stations balnéaires fréquentées par les étrangers,
    le personnel est composé presque exclusivement de Blancs. Or qui dit
    proximité avec des touristes dit nécessairement dollars. Les Cubains de
    Miami, surtout ceux d'ascendance européenne, envoient régulièrement des
    dollars aux membres de leur famille restés sur l'île. «Le reste des
    Cubains, dont la plupart sont des Noirs ou des métis à la peau très
    foncée, doit trouver d'autres moyens de subsistance, explique Katerin
    Hasing. Parfois, leur seule option est le marché noir ou la
    prostitution.» Certains ne s'en privent pas : 80 % des détenus qui
    croupissent dans les geôles de l'État sont des Noirs qui ont vendu de
    la marijuana, des cigares ou des CD de contrebande...







    La Havane témoigne du fossé qui subsiste entre descendants d'Africains
    et descendants d'Européens. Les quartiers pauvres, comme Habana Vieja
    (Vieille Ville) et Centro Habana, sont ainsi peuplés quasi
    exclusivement de personnes à la peau très foncée. Décrépits et sans eau
    courante, leurs immeubles risquent à tout moment de s'écrouler; dans
    certains secteurs, des baraques grouillant d'enfants aux cheveux crépus
    donnent même à la capitale des airs de bidonville. Sur tout le
    territoire national, 90 % des Afro-Cubains habitent des immeubles
    délabrés ou des cahutes improvisées, qu'ignorent les occupants des
    somptueuses villas de Cubanacan, où vivent la plupart des étrangers, ou
    de Reparto Playa, principalement habité par les membres du Parti.



    Clichés racistes



    Touchés de plein fouet par la crise économique, les Noirs sont la cible
    de remarques acerbes : «En ce moment, les Cubains sont très frustrés,
    constate Katerin Hasing. On commence à entendre des remarques très
    racistes que les gens gardaient auparavant pour eux. C'est troublant.»
    Les ombres du passé esclavagiste resurgissent, souvent de manière
    subtile. Les héros de la révolution, dont les visages romantiques
    ornent les énormes panneaux de propagande, sont tous des descendants
    d'Espagnols bon teint. Même la télé ignore les descendants d'Africains
    : dans les feuilletons télévisés, les acteurs sont presque tous blancs
    ou métis à la peau très claire.



    La langue populaire véhicule les préjugés ambiants. Pelo malo,
    littéralement «mauvais cheveux», qualifie les cheveux crépus alors que
    pelo bueno, «bons cheveux», décrit ceux du Blanc. La journaliste Maria
    Eliana sait ce que cachent ces expressions. À l'université, elle a
    consacré de longues heures, comme ses rares camarades noires, à lisser
    ses cheveux crépus. Jusqu'à ce qu'elle se lasse et décide de les
    laisser au naturel. «J'ai vu tout de suite la réaction des gens,
    dit-elle. Ils me trouvaient laide. À l'école Lénine -- la plus
    prestigieuse de Cuba, où la plupart des élèves sont blancs --, les
    professeurs nous disaient qu'il était bien d'épouser un Blanc afin
    d'embellir les traits de la famille. Je n'avais que 12 ans et j'étais
    convaincue que les Blancs étaient plus intelligents que les Noirs. Plus
    tard, j'ai compris qu'ils avaient de meilleurs résultats parce qu'ils
    venaient de familles plus instruites.»



    En mettant l'accent sur le problème social, la révolution a laissé
    l'épineux problème racial sous le tapis. «Le communisme a gardé le
    silence sur la question, constate l'anthropologue métis Rafael Robaina.
    On a cru qu'en disant qu'on était tous égaux et en offrant les mêmes
    chances à tous, le racisme n'existerait plus. La société cubaine
    demeure raciste. On ne peut effacer l'histoire du jour au lendemain.»

    Par A.S.I.


  • Commentaires

    1
    vanessa
    Vendredi 13 Juin 2008 à 15:20
    avis
    trés frappé par l'article que je viens de lire, je ne pensais pas que jusqu'à maintenant le racisme existait encore a Cuba. D'unefaçon générale les Noirs où qu'ils soient excepté en Afrique, car chez eux, subiront toujours des préjugés, le poids de l'histoire étant difficile à porter. C'est pourquoi il est important de cntinuer le combat, tous unis.
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